Stromboli/Vulcano









STROMBOLI
Roberto ROSSELINI













VULCANO
William DIETERLE

OU COMMENT LES HISTOIRES D’AMOUR FINISSENT MAL EN GENERAL

Il s’agit de deux histoires de femmes sur un volcan, deux îles volcan, deux actrices. Imaginez Anna Magnani gravissant les pentes du Stromboli, dirigée par R. Rossellini et hurlant « Dio Mio, Dio Mio » à l’infini, c’est une tragédie, un autre « Rome Ville Ouverte ». Anna Magnani est la femme du sud, un tempérament brûlant en accord avec l’environnement. Ingrid Bergman est la femme du nord, actrice oscarisée, un tempérament distant accentué par l’image de femme froide que véhiculent ses rôles hollywoodiens.

C’est la version anglaise « Oh My God, Oh My God » que hurlera à l’infini Ingrid Bergman en escaladant le Stromboli, une scène finale de presque dix minutes qui pourrait atteindre les sommets du ridicule si Rossellini…

Voici quelques explications sur la genèse de ces 2 films, une piste pour comprendre comment Rossellini avec Stromboli sublime le ridicule. Il devient « moderne », selon Eric Rohmer qui rédige un article dans ce sens à la sortie du film en 1950 et fait découvrir « il maestro » à ses confrères. La Nouvelle Vague est conquise par Rossellini, le film devient culte et Vulcano disparait dans l’oubli.

Stromboli et Vulcano sont deux îles éoliennes situées à quelques encablures l’une de l’autre. Le simple fait de choisir de tourner sur une île volcanique peuplée de quelques pécheurs vivant sans électricité et sans cesse menacés par les éruptions, était une gageure, double gageure, à Stromboli comme à Vulcano.

VULCANO

STROMBOLI

Les films ont pour titre les noms des volcans sur lesquels ils sont tournés et les dates des tournages sont identiques à quelques jours près, le printemps 1949. Et ce ne sont pas les seules similitudes, même scènes réelles de mattanza (pêche au thon), mêmes villages désolés, même hostilité des villageois envers les héroïnes qui portent des robes aux motifs très graphiques et bien détachés des du noir ambiant des îles de lave et génériques absolument semblables.

En 1948 Rossellini terminait « Amore » avec Anna Magnani et avait prévu de réaliser un nouveau film avec elle,  ensemble, ils avaient une liaison et un autre film en commun : « Rome ville ouverte », le premier film du néoréalisme.

Le scénario du projet volcanique était une  idée de son cousin Renzo Avanzo qui avait fondé la société de production sicilienne Panaria avec trois amis passionnés de plongée.

Pionniers de prises de vues sous marines, ils voulaient proposer leurs nouvelles images à Rossellini.

Quand le réalisateur reçut la lettre de « candidature »* d’Ingrid Bergman. Alors Roberto Rossellini et Ingrid Bergman se rencontrent à Paris, ils tombent amoureux et Rossellini quitte brutalement Anna Magnani, sa compagne, et son projet de film. Il propose le rôle à Ingrid Bergman en modifiant le scénario.

Anna Magnani est furieuse, anéantie. Elle décide malgré tout de faire son film sur le volcan et réussit à monter la production avec la Panaria, le cousin aussi se sentant trahi, ce sera Vulcano. Sa colère et son désespoir sont visibles tout au long du film.

https://www.youtube.com/watch?v=AS8QMa8yIrc

C’est William Dieterle qui est chargé de la réalisation et D. O. Selznik s’engage à co-produire, déçu du comportement de Ingrid Bergman, c’est lui qui a démarré sa carrière hollywoodienne. Elle, de son côté, a présenté Rossellini à d’autres producteurs américains et a obtenu l’accord de H. Hugues.

La presse internationale s’empare de l’événement, c’est la guerre, chaque actrice à ses partisans, Anna Magnani, femme trahie lâchement abandonnée, Ingrid Bergman, femme libre de quitter mari et enfant et convoler avec Roberto Rossellini lui aussi encore marié.

Les tournages sont surveillés de près, on cherche des informations, le scandale doit être alimenté, un scandale qui se vit chaque jour sur les îles éoliennes et se propage jusqu’aux Etats-Unis.

Ingrid Bergman vit un tournage très dur, loin des studios, du confort, une méthode complètement différente de ce qu’elle connaît, pas de script, de l’improvisation avec les habitants de l’île devenus acteurs. Dirigée par Rossellini au jour le jour, à tel point que lorsqu’elle tombe enceinte dans la réalité il intègre cet évènement au film. Harcelée par la presse, rejetée par Hollywood et ses amis, elle est seule sur son île devenue sa réalité, une prison.

https://www.youtube.com/watch?v=R5G3Ih0yuAc

Rossellini fait de Stromboli un quasi documentaire sur Ingrid Bergman et le moment difficile que vit la femme et l’actrice. C’est un vent de liberté qui souffle sur le cinéma.

Là est la modernité. Le film marquera le cinéma mondial.

Alors que Vulcano ne survivra que grâce à la guerre des volcans malgré la grande qualité technique de Dieterle et l’interpretation intense d’Anna Magnani.

A l’époque c’est Vulcano qui gagne en vitesse, il est présenté au public quelques semaines avant Stromboli. Mais le soir de la projection, Anna Magnani n’est pas présente, la pellicule se déchire, la séance prend du retard et avant la fin tous les journalistes quittent le cinéma, la naissance du fils d’Ingrid Bergman et Roberto Rossellini vient d’être annoncée.

« Oh My God, Oh My God » l’appel est en anglais. Il est beaucoup question de Dieu et de religion dans les deux films.

Deux femmes, deux séductrices, chacune sur leur volcan par la volonté de Roberto Rossellini, chacune vivant son escalade comme une rédemption, Magdalenna/Anna Magnani, la prostituée malgré elle, se sacrifie pour sauver sa soeur et Karin/Ingrid Bergman, l’étrangère, pardonne aux habitants de l’île et au monde qui la font souffrir.

Eruption/rédemption, c’est le volcan qui a le rôle titre.

*« Cher M. Rossellini,
J’ai vu vos films Rome, ville ouverte et Païsa, et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui parle très bien anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo », alors je suis prête à venir faire un film avec vous. »

— Ingrid Bergman