Fortunata/Une femme douce

UNE FEMME DOUCE
Sergei LOZNITSA

FORTUNATA
Sergio CASTELLITO

Mais qu’ont-elles fait pour mériter ça ?

FORTUNATA (Jasmine Trinca) est une jeune italienne, joyeuse et pleine de vie, malgré son travail de coiffeuse à domicile. Elle court d’un appartement à l’autre dans la périphérie de Rome pour gagner de quoi ouvrir un salon de coiffure/tatouage. Elle est aidée dans sa course au bonheur par son ami tatoueur, sorte de frère désemparé au regard fou, (Alessandro Borghi) lui même occupé par la charge de sa mère, une vieille actrice qui perd la tête (Hanna Schygulla).

Fortunata est souriante, malgré son mari violent, violeur et jaloux (Edoardo Pesce), il refuse le divorce et lui « rend visite » quand il le décide. Aimante et dévouée, malgré les problèmes de sa fille de sept, huit ans qui n’a trouvé que le crachat comme moyen d’expulser la violence qui l’entoure. Belle et désirable malgré le rimmel qui coule et sa vie de misère.

L’enfant est envoyée chez un psy (Stefano Accorsi) et croit trouver en lui un père à l’écoute.

Fortunata, au début réticente face à cet homme trop différent de ceux de son entourage, finit par tomber amoureuse, sa fille est hors d’elle. C’est la crise.

 

Contrastant avec la noirceur du propos, le film est très coloré, des couleurs criardes, chaleur, sueur, cheveux décolorés, minijupes, semelles compensées, tatouages, des accessoires de télé réalité actuelle.

Le chemin de Fortunata est ponctué de rencontres avec la communauté chinoise souvent mise en opposition avec celle des Africains, autres couleurs. Cette accumulation d’effets colorés ne forment pas pour autant le portrait de la société italienne, le choix est délibéré d’exposer la misère et Fortunata apparait alors plus forte dans son rôle de Madone des faubourgs, toujours combattive. Seul moment de bonheur autorisé, son histoire d’amour, mais quel amour ?

 

 

Le rimmel qui coule est porté par Jasmine Trinca/Fortunata,et la chemise blanche immaculée par Stefano Accorsi,

un couple qui ressemble à s’y méprendre au couple

 

 

Pénelope Cruz/Italia et Sergio Castellito de « Non ti muovere » en 2004, même rimmel, même chemise blanche et mêmes relations sexuelles exacerbées.

 

Sergio Castellito est le réalisateur des deux films et Margaret Mazzantini, la scénariste et romancière, son épouse à la ville.

 

 

 

 

 

LA FEMME DOUCE (Vasilina Makovtseva) est une russe. Elle ne sourit jamais une seule fois durant tout le film, elle a de bonnes raisons. Elle vit dans une campagne déserte, sombre et humide, et son mari est en prison. Un jour le colis qu’elle lui envoie régulièrement lui revient. Elle décide alors d’entreprendre le voyage vers la prison où il est enfermé pour savoir ce qu’il se passe. Un long périple commence, seule, sans moyens, sans joie, ne rencontrant sur son chemin que des refus, de la brutalité ou de la manipulation. Des compatriotes écorchés par la vie, souvent imbibés d’alcool, des fonctionnaires obtues et très maquillées contrairement à elle qui promène son visage impassible, sans fard, blême comme un fantôme.

A chaque étape elle semble s’enfoncer plus profondément dans le chaos et l’absurde, elle se heurte à la bureaucratie, aux magouilleurs, aux soldats, aux mafieux, aux habitants d’une maison d’hôtes désespérés qui chantent et s’enivrent en jouant au strip-poker. Face à ces corps abimés, ces esprits malades, portrait d’une Russie déglinguée, la femme douce n’offre qu’un visage triste, une femme mutique, impavide, glaciale, perdue dans un labyrinthe où le danger menace à chaque rencontre. On a peur pour elle car elle se lance dans sa quête perdue d’avance avec détermination, elle ne recule jamais malgré les humiliations, la vulgarité.

 

L’unique scène qui soulage de l’angoisse pour le sort de la femme douce est une scène haute en couleurs réunissant les personnages croisés auparavant, cette fois en tenue de soirée ou en uniforme, buvant, chantant et déversant un flot de paroles à l’adresse de la femme douce, un autre voyage mais dans l’onirisme, le grotesque.

Ce sont les masques qui discourent, et leurs longues tirades à l’aspect généreux au début pour la femme douce finissent souvent par des réflexions totalitaires concernant le peuple russe en entier.

Peut-on qualifier ce passage de ringard ? La qualité de l’image, des plans séquence remarquables, du montage, du jeu des acteurs, des dialogues, tout le film est tellement maîtrisé que le réalisateur Serguei Loznitsa ne peut pas avoir perdu le fil avec cette scène. C’est un voyage dans le temps, des costumes flambants neufs, une mise en scène volontairement désuète, dépassée, en totale opposition avec la scène finale, noire, horrible, insoutenable, sourdement annoncée durant tout le parcours de la femme douce.

 

Bien que les deux films soient très éloignés d’un point de vue formel, l’influence de Dostoievski pour le réalisateur qui le qualifie de prophète, est plus manifeste dans la peinture des comportements malhonnêtes, des « démons » de son pays que dans le film homonyme de Bresson de  1969  qui a suivi la nouvelle au plus près.

 

 

 

 

Une similitude s’impose, le désespoir imperturbable éprouvé par ces femmes douces, interprétées par Dominique Sanda et Vasilina Makovtseva.

 

 

FORTUNATA/UNE FEMME DOUCE, deux femmes en marche, leur commune détermination dans la joie ou dans l’impassibilité les conduit à leur perte. Elles partaient de loin, trop loin, pour remonter la pente.

Incarnations vivantes de leurs pays respectifs, image biblique de mater dolorosa qui en plus de sa douleur doit être punie, fantasme sexuel masculin, femme fatale du futur ?

Mais qu’ont-elles fait pour mérité ça ?

Est-ce là l’image de la femme de 2018? Il ne lui suffit pas de vouloir prendre en main son destin, ses espoirs seront vains, elle sera toujours la victime. Malgré les voix qui s’élèvent ces derniers temps pour le droit à la parole des femmes violées, harcelées, insultées, ces deux films transmettent une image vieillotte de la femme, rien de nouveau sous le soleil, et surtout un massacre, un acharnement à maltraiter ces deux femmes, à les condamner à souffrir. Non les femmes ne sont pas toutes masochistes, il faut cesser de véhiculer cette image archaïque, la Lulu de Pabst de 1929 était bien plus moderne et libre. Le sous titre « Le livre de Pandora » explicite quant à sa culpabilité, Lulu trop curieuse a rependu tous les maux de l’humanité en ouvrant une boîte. Les hommes sont donc en droit de la punir mais sa descente aux enfers est plus flamboyante, elle s’amuse, séduit, vit avec légèreté. Ce n’est pas le cas de ces deux femmes d’aujourd’hui, le malheur est présent dès le début, aucune joie et encore moins de liberté.

On attend le film de la femme fatale qui ne le sera pas pour elle-même.